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Le métavers : vecteur de souveraineté pour l’Etat ?
Article du 28/02/2023 par Maité CANO, avocat au Barreau de Paris qui travaille pour le compte d’opérateurs privés et publics sur des projets d’infrastructures publiques et de gestion de services publics. Elle s’intéresse aux rapports entre technologie et service public, et sur les enjeux de souveraineté que soulève le métavers.

Terme en vogue, comme les « NFT » ou la « blockchain », le métavers est une notion dont les contours sont encore mouvants.

Le métavers est souvent décrit par ses fonctionnalités et sa finalité. Il peut ainsi être défini comme

« un service en ligne donnant accès à des simulations d’espaces en 3D temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives » ou encore comme « des espaces virtuels fondés sur des technologies immersives où les utilisateurs peuvent interagir en temps réel via des avatars. […] ils permettent de développer une véritable vie virtuelle »

La notion de métavers est ainsi associée à des finalités principalement commerciales, industrielles et ludiques, permettant une expérience partagée et immersive proposée par des opérateurs privés à des utilisateurs privés, par le biais notamment de leur avatar.

Dans ce contexte, s’interroger sur le rapport entre le métavers et la puissance publique pourrait paraître anecdotique ou accessoire.

Pour autant, et ainsi que le relève le Conseil d’Etat dans une étude annuelle publiée en 2022, l’avènement du ou des métavers est susceptible de poser de nouveaux enjeux juridiques, économiques et sociaux auxquels la puissance publique devra faire face et qu’il convient d’anticiper.

Dans cette perspective, interroger le rapport de la puissance publique et du métavers devient indispensable, non seulement parce qu’en toile de fond se jouent des questions de souveraineté, mais également parce que le métavers est susceptible de poursuivre la révolution opérée par les réseaux sociaux avec les enjeux démocratiques et éthiques qu’ils recèlent.

Dans son rapport avec les métavers, la puissance publique pourrait endosser au moins trois rôles qui pourraient être interdépendants dont on peut esquisser les contours :

-        La puissance publique en tant que co-créateur d’un ou plusieurs métavers

-        La puissance publique en tant de régulateur des métavers

-        La puissance publique en tant qu’utilisateur des métavers

L’approche est bien entendu prospective et a vocation à proposer des axes synthétiques de réflexion. Elle soulève d’ores et déjà de nombreux enjeux.

 

La puissance publique doit-elle participer à la création des métavers ?

La création de métavers est, en l’état, menée par des opérateurs privés à des fins principalement ludiques, industrielles et commerciales, mouvement dont sont a priori exclus les Etats.

Si la participation de la puissance publique à la création d’univers virtuels ne paraît pas, de prime abord, aller de soi, c’est l’une des propositions du rapport de la Mission exploratoire sur le métavers.

Le rapport fait ressortir deux préconisations :

-        Négociation de standards techniques pour faire en sorte que les technologies immersives soient interopérables et transparentes ;

-        Amener la puissance publique à faire émerger les services communs et essentiels permettant l’avènement d’une pluralité de métavers interopérables.

L’approche proposée par le rapport est ambitieuse et incite la puissance publique à participer à la création de métavers, ou plus précisément, à « soutenir et encourager les acteurs en pointe sur des briques technologiques […] essentielles à la constitution des métavers de demain », en insistant sur la nécessité que cette émergence ne se fasse pas sans acteur européen.

Parmi les leviers de création de ces services communs, le rapport souligne l’intérêt du recours à la commande publique et des partenariats entre entités publiques et privées, tout en considérant que le versement de subventions aux structures privées ne serait pas un dispositif adapté.

Ces préconisations soulèvent des questions très concrètes de mise en œuvre.

Le cadre législatif et règlementaire, qui est issu de la transposition de directives européennes, encadrant la commande publique est-il adapté ? Faut-il faire évoluer la règlementation au niveau national et européen ? A quel titre l’Etat pourra conclure des contrats publics en vue de la constitution de ces briques technologiques ?

Au-delà, il conviendra de s’interroger sur les limites d’une telle participation qui pourrait rappeler la littérature d’anticipation ou de science-fiction et sur les modalités d’encadrement de l’action de la puissance publique.

 

Quelle régulation des métavers par la puissance publique ?

Comme pour les réseaux sociaux, la régulation des métavers va constituer un enjeu pour la puissance publique.

Dans l’étude annuelle publiée en 2022, le Conseil d’Etat souligne, d’une part, la nécessité de réguler les réseaux sociaux, et, d’autre part, celle d’anticiper l’avènement de formes plus approfondies d’univers virtuels, tels que les métavers.

Sur ce point, le rapport de la Mission exploratoire invite la puissance publique à d’ores-et-déjà préparer l’évolution de la règlementation européenne (Règlement général sur la protection des données, Règlement sur les marchés numériques (DMA), Règlement sur les services numériques (DSA)).

Outre les enjeux environnementaux et de santé publique, la régulation par la puissance publique devra également porter sur l’encadrement juridique du métavers. On pense notamment aux problématiques liées à la propriété intellectuelle, aux infractions pénales, à la propriété foncière ou encore à la protection des données personnelles.

Plus largement, le métavers comporte une série de questions sur la faculté pour les Etats de réguler le métavers. A quel titre intervenir dans un univers virtuel ?

Le métavers soulève des interrogations tenant notamment à la territorialité et au périmètre géographique de l’intervention de la puissance publique (frontière étatique, délimitation d’un périmètre géographique et fonctionnel) qui dans le monde « réel » conditionnent leur cadre de compétence.

Cela poserait des questions concrètes de mise en œuvre, si l’on part du postulat que le métavers est la continuité du monde réel. Faudrait-il imaginer l’acquisition par l’Etat de terrains au sein du métavers ? Avec quelle monnaie ? Comment identifier les utilisateurs de ces univers virtuels ?

 La régulation par la puissance publique sera d’autant plus importante si la puissance publique entend investir le métavers et proposer des services en son sein.

 

Les métavers, un outil pour repenser l’action publique ?

Si l’on postule l’avènement du métavers, sera-t-il opportun pour la puissance publique d’investir un ou des univers virtuels ?

L’intérêt d’intégrer un espace virtuel proposant des expériences immersives peut paraître limité pour une personne publique dans l’exercice de ses compétences.

 La Corée du sud a, par exemple, annoncé d’importants investissements en vue notamment de proposer des services administratifs dans le métavers.

 Pourtant, on relèvera que depuis les années 2000, l’Etat a organisé la dématérialisation des démarches administratives et des services publics.

 On pourrait alors s’interroger sur le fait de savoir si l’intégration de l’Etat et des collectivités locales dans le métavers ne constitue pas une poursuite de la dynamique de dématérialisation et d’accessibilité des services publics aux usagers.

 Pour aller plus loin, l’interrogation peut également s’étendre à la nécessité, dans le respect du principe de continuité du service public, d’investir le métavers afin d’assurer la poursuite de l’exécution du service public au sein de ce nouvel espace.

 Cette intégration mettrait en balance plusieurs enjeux, notamment éthiques et juridiques :

-        Les démarches administratives pourraient être effectuées dans le métavers, via son avatar.

 Cela nécessiterait d’encadrer et de structurer l’identité numérique des utilisateurs/usagers du service public afin de permettre leur identification.

 -        S’agit-il d’une opportunité ou d’un gadget ? Outre les enjeux environnementaux et énergétiques posés par le fonctionnement du métavers, se pose la question de la place de l’humain et du citoyen en son sein.

 En effet, la proposition de services publics au sein du métavers pourrait accentuer l’exclusion des services publics d’ores et déjà constatée du fait de leur dématérialisation (voir le dernier rapport du Défenseur des droits sur ce point).

***

L’avènement d’un ou plusieurs métavers soulève de nombreuses questions éthiques, juridiques et politiques qui devront être prises en compte par la puissance publique, à un niveau national et européen.

Ces trois rôles de la puissance publique pourraient être interdépendants, notamment parce que la participation à la définition de standards techniques et de services communs pourrait faciliter la régulation, et la réflexion sur l’utilisation par l’Etat de l’univers virtuel pourrait avoir une influence sur la définition de ces standards techniques en tenant compte des nécessités de la régulation et sur sa participation à la création de métavers.

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