Grimaud Valat, expert en droit numérique et en données personnelles, associé chez DTMV Avocats, revient sur sa participation au rapport “Data Altruisme: Une initiative Européenne, les données au service de l'intérêt général”, remis par la Human Technology Foundation au Secrétaire d’Etat français chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques Cédric O, le 22 février 2022. Ce rapport est le fruit d’une collaboration étroite entre différents acteurs institutionnels, privés et académiques.
1. Dans quel contexte s'inscrit la réflexion de la Fondation?
Dès lors que l’on évoque les sujets, devenus de véritables « buzz words » que sont le big data, l’intelligence artificielle (IA), l’exploitation des données personnelles, le débat prend une connotation a priori négative.
Viennent immédiatement à l'esprit pléthore de scandales récents (Cambridge Analytica, les attaques cyber menées contre des centres hospitaliers) mais aussi l’exploitation très lucrative qui est faite des données par les géants du web.
C’est une vision très réductrice du potentiel que représente l’exploitation des données, laquelle peut se faire d’une manière parfaitement éthique. Il ne faut pas oublier que comme toutes les technologies, les systèmes d’intelligence artificielle, les algorithmes, nourris de données massives, ne font que ce que les humains qui les créent leur demandent de faire. Or la puissance de ces technologies permet aussi de servir des causes magnifiques. À titre de simple illustration, mais que je trouve particulièrement parlante, les travaux menés par Imagia au Québec sur la détection et le diagnostic des cancers par des systèmes d’IA entraînés sur des données d’imageries médicales, sont incroyables. Et ces progrès, qui servent l’intérêt général, ne sont rendus possibles dans de telles proportions que par un traitement massif de données de santé. S’il faut garder à l’esprit que les systèmes d’IA doivent être maniés avec précaution, il faut aussi que l’on arrive à les dédiaboliser.
L’un de nos objectifs est de parvenir à cela, à inverser cette tendance et montrer à quel point les progrès techniques qui ont été faits en matière de traitement de données peuvent être, non pas nocifs, mais au contraire bénéfiques à l'humanité.
La Commission européenne a clairement compris cela, et ce, de manière assez avant-gardiste à mon sens. En effet, dans le cadre de sa stratégie numérique, le “Digital Decade 2020-2030”, la Commission a présenté dans le Data Governance Act un nouveau concept juridique alliant altruisme, intérêt général et exploitation des données : le data altruisme. L’objectif est clairement d’initier un mouvement sociétal : de faire du partage de données pour l’intérêt général une norme sociale.
Partant de cela, dans le rapport “Data Altruisme: Une initiative européenne, les données au service de l'intérêt général”, la Fondation propose des modalités d’actions précises du texte, à travers les primes de la confiance et des réalités de terrain pour inciter les acteurs à partager leurs données. La première recommandation du rapport définit le périmètre des finalités d’intérêt général comme un aspect essentiel de la confiance. Un périmètre trop large nuirait à la confiance, au même titre qu’une définition trop restreinte, qui ne prendrait pas en compte les usages encore à venir. Une balance doit être trouvée.
Dans ce rapport, la Fondation propose aussi des clés pour permettre aux futurs acteurs de l'altruisme des données de concrétiser leurs initiatives. Par exemple, la recommandation 19 préconise la création d’une marque de certification (label) pour des acteurs altruistes. Dans la même lignée, la recommandation 20 vise la création d’un critère d'évaluation et de sélection dans les appels d’offres basé sur la participation ou l’engagement à participer à l’altruisme des données.
Enfin, le rapport propose des mesures concrètes pour inciter les acteurs à partager leurs données. À ce titre, les recommandations 21 et 26 du rapport suggèrent la mise en place d’incitations fiscales pour les contributeurs et la définition des modalités financières d’accès aux données par catégories d’utilisateurs.
2. Le rapport énonce différents cas d'usages : santé, informations personnelles, mobilité, etc... Selon vous lesquels seraient les plus pertinents pour tester l'approche data altruiste ?
Tous les cas d’usage que l’on a pu étudier étaient assez marquants, qu’ils aient aboutis à un résultat concret ou non. En la matière, on observe une volonté manifeste de nombreux d’acteurs de mettre au service de l'intérêt général les systèmes d’IA et les données qui les nourrissent, ce qui est très encourageant. La question de l’évaluation, la priorisation des interventions dans tel ou tel secteur demeure néanmoins une question de sensibilité personnelle.
Je considère par exemple que le secteur de la santé devrait être investi en priorité, et ce pour de nombreuses raisons. Dans le cadre de nos travaux, les personnes avec qui nous avons pu échanger ont souligné l’apport du traitement des données pour l’amélioration des diagnostics, la personnalisation des parcours de soin, soit des éléments qui permettent à la fois d’augmenter les chances de guérison d’un patient, dans un délai plus court, mais aussi, par conséquent, d’optimiser la prise en charge des patients, ce qui devient indispensable dans un secteur hospitalier soumis à de très importantes tensions.
La protection de l’environnement est également hautement stratégique à mon sens. La question du réchauffement climatique est évidemment et malheureusement un enjeu clé de ce siècle. Or, la prise en charge de ce problème est multifactorielle, ce qui rend nécessaire une analyse fine des causes du réchauffement et de l’ensemble des données afférentes. Par exemple, la réduction des pollutions atmosphériques en ville implique notamment l’analyse des données de circulation (itinéraires/moyens de transport/temporalité) pour redessiner les plans de circulation, calculer les empreintes carbones etc.
Nous disposons maintenant des capacités techniques à récolter et traiter des quantités de données considérables qui pourraient permettre de véritablement changer la donne. Il est très clair que toute la puissance de cette technologie peut être mise au service de l'intérêt général !
3. Quels sont les défis principaux à la mise en place des modalités pour aboutir à un Data Altruisme efficace et éthique ? Quelles sont les prochaines étapes en matière de Data Altruisme ?
Le principal défi pour l’altruisme en matière de données est la recréation du lien de confiance qui s’est fortement distendu, pour les raisons évoquées précédemment.
Le premier niveau de confiance est éthique. Pour les individus, ce qu’il faut arriver à dépasser est l’assimilation presque systématique du partage de données avec une atteinte à la vie privée.
Pour les entreprises, la confiance passe par la sécurisation des données transmises dont il faut pouvoir démontrer que leur partage dans le cadre de l’altruisme des données n'entraînera pas leur divulgation à leurs concurrentes, et donc la perte d’un avantage sur le marché.
Ce défi lié à la recréation d’un lien de confiance est paradoxal puisque l’on constate que les mêmes personnes qui déversent leurs données personnelles sur des réseaux sociaux se montrent réticente à partager ces données dans tout autre cadre, même présenté comme d’intérêt général. Il faut que les organisations altruistes en matière de données prennent leur place dans cet écosystème et soient perçues comme de véritables tiers de confiance, avec toute la portée qu’il convient de donner à ce terme.
Le second défi est de parvenir à structurer techniquement et économiquement les organisations altruistes en matière de données. La création d’un lien de confiance implique en effet de pouvoir compter sur la fiabilité et la pérennité des organisations en charge de la collecte des données et de leur gestion.
Il faut dorénavant attendre la création des premières organisations altruistes en matière de données. Dans ce cadre, il est certain que des acteurs comme la Human Technology Foundation pourront être amenés à accompagner ces organisations pour les aider à mettre en place ce qui permettra de créer ou recréer ce lien de confiance et donc d’initier un mouvement large de circulation des données au profit de l’intérêt général.
* Le Data Governance Act ou Loi sur la gouvernance des données est une proposition de loi faite par la Commission européenne, et qui vise à créer un cadre facilitant le partage des données, dans un objectif altruiste en matière de données