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Rencontre avec... Kathy Malas

Une conversation avec...

Kathy Malas, adjointe du président-directeur général et responsable du Pôle d’innovation et d’intelligence artificielle en santé du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), nous parle d’innovation inclusive dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et de ce que toute organisation peut faire pour stimuler continuellement le progrès.

Une crise d’une extrême gravité peut représenter un important catalyseur pour l’innovation. Cela est particulièrement vrai dans le réseau de la santé où les décisions doivent être prises rapidement, en combinant quasiment en temps réel des données scientifiques, des faits et des expériences de première ligne afin d’améliorer les soins et les résultats pour les patients.

Pour Kathy Malas du CHUM, la capacité de concevoir de nouvelles solutions face à des situations aussi complexes que la pandémie de COVID-19 est directement liée à la recherche rigoureuse et au développement innovant qui constituent les axes principaux des activités de ce centre hospitalier universitaire de pointe. Les équipes du CHUM ont consacré des décennies à concevoir un cadre d’innovation fondé sur la science, guidé par l’éthique et soutenu par les dirigeants à tous les échelons de l’organisation.

« La pandémie nous a fait entrer dans une dimension inconnue, explique Mme Malas au sujet des problèmes complexes liés à la COVID-19. Il y avait toujours de multiples changements. Nous n’aurions jamais pu [innover] si nous n’avions pas déjà été disposés à travailler de cette manière. »

Au CHUM, chaque aspect des soins de santé prodigués pendant cette crise a été l’occasion de résoudre un défi pour les équipes, alors même que la crainte très réelle de contracter ou de propager la maladie leur compliquait la tâche. Du début de la pandémie jusqu’en février 2021, les équipes du CHUM ont démarré plus de 70 projets de recherche, tous évalués et approuvés selon les normes éthiques qui ont toujours guidé le centre hospitalier universitaire.

« Nous avons conçu des programmes de formation, qui ont été offerts à plus de 7 500 personnes, et mis en place une multitude de nouveaux protocoles de soins en l’espace d’environ deux mois, tout en devant composer avec des éléments inconnus, ajoute Mme Malas. Il nous a fallu prendre du recul et essayer de nouvelles choses, car nous avions notre protection et celle de nos patients à assurer. »

Pour ce faire, les équipes ont dû continuellement reconsidérer les obstacles rencontrés au quotidien dans la prestation des soins aux patients et y voir des occasions uniques de mettre au point de meilleures solutions. Comment cela s’est-il traduit concrètement?

Comme la plupart des réseaux de santé à l’échelle mondiale, le CHUM a eu du mal à se procurer l’équipement de protection individuelle (EPI) approprié dans les premiers jours de la crise. En deux jours à peine, les équipes de Mme Malas ont réuni une communauté d’ingénieurs, de chercheurs, d’alliés du secteur privé, de professionnels de la logistique et de membres du personnel clinique pour concevoir leur propre prototype de visière de protection grâce à l’impression 3D. En moins d’une semaine, ils avaient créé un modèle conforme aux normes gouvernementales, dont ils avaient évalué l’ajustement et le confort, et fabriqué 600 de ces visières de protection qui ont été immédiatement acheminées au personnel clinique de première ligne.

Cet esprit d’innovation s’est manifesté de manière constante tout au long de la pandémie. En ayant recours à l’Internet des Objets pour mettre à niveau de vieux moniteurs, le CHUM a pu continuer de surveiller les signes vitaux des malades de la COVID-19, tout en réduisant le nombre d’allers et retours dans les chambres des patients. Quand on pense que les équipes de soignants doivent généralement vérifier les signes vitaux de six à dix fois par jour, on réalise l’incidence considérable que ce virage numérique a eue sur le nombre de contacts physiques entre les patients et les personnes qui les soignent. Avec une maladie aussi contagieuse que la COVID-19, cela a véritablement changé la donne. Le virage numérique a également permis de réduire le nombre d’erreurs humaines pouvant se produire au cours du processus traditionnel qui consiste à prendre les signes vitaux d’un patient et à les retranscrire ensuite manuellement dans son dossier. 

« Il y avait toujours de multiples changements. Il nous arrivait de prendre une décision lundi matin et de devoir la changer lundi après-midi, puis à nouveau, mercredi matin, note Mme Malas. C’est dans l’action qu’on apprend, particulièrement quand il faut opérer des changements rapides et parfois contradictoires. »

La robotique est un autre domaine que l’équipe de Mme Malas a exploré plus à fond depuis le début de la pandémie. Mme Malas voit avec optimisme le rôle d’assistant (et non de remplaçant) que les robots compagnons peuvent jouer auprès du personnel clinique dans le cercle de soins. Les retombées pourraient être énormes, qu’il s’agisse de réduire les contacts physiques avec les patients très contagieux ou d’alerter le personnel lorsqu’une personne éprouve un malaise ou a besoin de médicaments.

Même si aucun de ces appareils n’a été déployé pour le moment, Mme Malas précise que le CHUM a fait l’acquisition d’un robot compagnon et en évalue actuellement le potentiel. « Cela m’enthousiasme, mais c’est à nous, en tant que centre hospitalier universitaire, d’en démontrer la valeur réelle. Nous croyons que l’IA peut servir d’outil de prévention et de diagnostic précoce. Selon moi, l’utilité des robots compagnons demeure encore à prouver. Cela fait partie de notre mission. »

Mme Malas veut également faire la démonstration de cette valeur en associant la technologie numérique au pouvoir du contact humain. « C’est un fait incontestable pour moi. On ne peut déployer une technologie visant à assurer une meilleure prise en charge de la santé et du bien-être sans déployer des êtres humains également. »

À cette fin, le CHUM a mis en œuvre un certain nombre de protocoles et de programmes qui combinent l’intervention humaine et les technologies numériques pour combattre les répercussions émotionnelles et psychosociales de la pandémie en cours. Par exemple, les téléconsultations existaient avant la pandémie, mais leur nombre est passé de 700 à 17 000 par mois entre mars et octobre 2020. Après avoir mis sur pied une équipe spécialisée pour aider les médecins à utiliser une telle plateforme plus largement pendant la crise, le CHUM a profité de cette dynamique pour créer une série de solutions d’assistance novatrices :

  • Une ligne d’assistance, accessible en tout temps, a permis aux patients et à leurs proches de communiquer pour partager des renseignements et combattre un sentiment d’isolement croissant. Des équipes d’intervention ont été créées spécialement pour assurer le fonctionnement de la ligne d’assistance, ce qui a permis d’alléger la charge de travail du personnel de première ligne.
  • Plus de 250 tablettes et appareils mobiles donnant accès à un système de vidéoconférence ont été mis à la disposition des patients pour les aider à communiquer et briser leur isolement en leur offrant différents moyens de se divertir (p. ex., mots croisés, émissions de radio).
  • Ne pouvant plus se rendre à l’hôpital en raison de la crise, l’armée de 1 000 bénévoles du CHUM a lancé une opération d’appels de courtoisie quotidiens auprès des patients isolés. Cette initiative a permis de combler des lacunes dans la satisfaction des besoins (qu’il s’agisse de patients demandant simplement qu’on leur rapporte des vêtements propres de la maison ou d'autres présentant des problèmes de santé plus complexes).

Qui plus est, alors que le personnel clinique était bouleversé par le simple fait de penser que, dans le contexte de la crise, des patients rendent l’âme sans avoir leur famille à leurs côtés, l’équipe de l’unité des soins intensifs a conçu, testé et déployé un nouveau protocole pour accompagner les membres de la famille de manière sécuritaire, de l’entrée à la sortie de l’établissement hospitalier (lorsque cela était permis), et prendre des nouvelles d’eux trois semaines après le décès de leur proche. 

Bien sûr, les possibilités engendrées par l’innovation, particulièrement l’innovation numérique, peuvent aussi soulever de nouvelles questions éthiques. Mme Malas est d’avis que l’innovation responsable doit toujours prendre en considération les répercussions plus générales sur le plan éthique et accorder la priorité à un mécanisme robuste et fiable permettant de valider la technologie, les processus, les faits et les conséquences pour les êtres humains. « L’innovation responsable doit tenir compte de ces quatre aspects, en plus des considérations liées au développement durable, à l’équité, au principe de précaution et à l’inclusion. »

À cette fin, le CHUM met actuellement au point un guide pour favoriser la prise en compte des notions d’équité, de sécurité et de précaution dès l’étape de la conception. « Les gens veulent agir de manière responsable, explique Mme Malas, mais ils ne savent tout simplement pas comment. Il y a plusieurs dimensions à prendre en considération quand on met en œuvre de nouvelles technologies pour le mieux-être des patients, des familles et du personnel clinique. »

La plupart des initiatives innovantes élaborées au CHUM cette année émanent du personnel de première ligne, des bénévoles et de patients partenaires. Il y a longtemps que le CHUM offre un environnement de travail et d’apprentissage où tous sont encouragés à voir les possibilités d’innovation naturellement présentes. 

« L’innovation est inscrite dans l’ADN des centres hospitaliers universitaires. Nous croyons que le savoir est une constante source d’amélioration, ajoute Mme Malas. Nous avons dit à notre personnel: “Dépêchez-vous d’effectuer des expériences, de mener des recherches et de transmettre vos connaissances, et nous apprendrons en cours de route. Nous allons faire cela ensemble.” »

C’est la clé pour Mme Malas. Puisque le CHUM avait déjà mis en place les bons piliers pour favoriser l’innovation, ses équipes ont été en mesure de s’adapter rapidement et de saisir les occasions pour créer quelque chose de nouveau, alors même que la pandémie prenait de l’ampleur. Le partage des connaissances permet ensuite de faire fructifier les investissements réalisés dans les centres hospitaliers universitaires comme le CHUM de manière exponentielle. En créant une nouveauté, un établissement comme le CHUM peut avoir des répercussions positives dans l’ensemble du réseau de la santé du Québec, voire du Canada. D’autres hôpitaux tirent ensuite parti des connaissances qui sont partagées pour adopter de nouvelles idées et maintenir cette dynamique.

Tout cela tient à ce cadre d’innovation si important qui était présent au départ, selon Mme Malas. « Il faut un entraînement préalable pour accélérer l’innovation en période de crise. »

Comment les organisations peuvent-elles faire de l’innovation une composante essentielle de leur ADN? 

En cultivant une culture d’innovation soutenue par les dirigeants à tous les échelons. Pour Mme Malas, cela signifie que le ton donné par la direction doit trouver un écho au sein de chaque équipe et de chaque fonction de l’organisation. « Nous favorisons l’innovation à tous les niveaux, comme le faisait le clinicien avec ses propres projets d’innovation en 2015, et même avant. » Le CHUM a su mettre en place cette culture en entretenant un sentiment d’appartenance qui renforce l’idée d’une responsabilité commune à l’égard de l’innovation. « Il règne un esprit d’équipe qui fait en sorte que l’on s’efforce collectivement d’améliorer les choses. Cela faisait déjà partie de notre culture d’innovation avant la crise. » Mme Malas insiste aussi sur l’importance d’accorder du temps aux gens pour leur permettre de sortir des sentiers battus. « Les gens veulent innover, mais ils n’ont pas le temps. Il faut réserver du temps pour la recherche, l’enseignement et l’innovation, en plus du temps consacré à la prestation des soins. C’est un aspect sur lequel nous avions travaillé avant la crise afin de mobiliser l’équipe. »

En créant un processus d’innovation clair. Mme Malas explique que le CHUM a mis en place des processus et des mécanismes d’innovation ascendante, descendante et transversale. Cette approche s’appuie également sur l’enseignement de diverses méthodes pour créer de nouvelles solutions. Par la formation continue et l’apprentissage de diverses stratégies, comme la réflexion conceptuelle, le CHUM établit des processus clairs pour son personnel, et c’est ce qui crée des conditions propices à l’innovation.

En favorisant un écosystème d’innovation ouverte. Pour qu’elle produise de bons résultats, l’innovation doit prendre la forme d’un processus ouvert et collaboratif, selon Mme Malas. Le CHUM compte 200 partenaires d’innovation dans divers groupes professionnels des secteurs public et privé. Ils abordent l’innovation sous l’angle de la collaboration en matière de développement et de mise en œuvre, et mesurent la valeur des innovations technologiques en milieu clinique auprès de vrais patients. « Il faut un vecteur de commercialisation. Dans le milieu hospitalier, notre directeur général a fait œuvre de pionnier il y a dix ans en faisant de l’innovation la mission principale d’une organisation. Le CHUM est maintenant une entreprise d’innovation ouverte. C’est une tendance que nous observons de plus en plus. »


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