L’application des NFT à la sphère religieuse questionne les limites de ce phénomène connu pour être principalement utilisé par des amateurs d’art et des spéculateurs.
La sphère religieuse est généralement réputée pour son regard critique sur la technologie. Pourtant, suite à la pandémie, de nombreuses religions ont dû se réfugier en ligne pour maintenir un lien avec leurs fidèles. Certaines organisations religieuses ont même été tentées par le métavers.
En parallèle, le Vatican a annoncé le projet de développer la "toute première galerie de NFT” (Non Fungible Tokens, ou Jetons Non Fongibles en français) en numérisant une partie de ses œuvres d’art, manuscrits et autres objets rares et les exposer dans une galerie numérique, accessible en réalité virtuelle.
"La technologie va perdurer, tout comme la religion. Elles peuvent s'épanouir ensemble". Eric Salobir
L’entrée des NFT dans la sphère religieuse, met en lumière des caractéristiques des NFT qui n'avaient pas été soulevées dans le contexte de la bulle spéculative qui s’est formée autour de ces innovations. Ces caractéristiques vont-elles être mises à profit de la création de nouveaux business model autour des NFT ?
Les NFT (Newsletter sur les jetons-non-fongibles) ne sont pas nécessairement associés à une valeur monétaire. Par exemple, en ce qui concerne le projet du Vatican, le père Philip Larrey a énoncé que l’objectif était “de démocratiser l'art, en le rendant plus largement accessible aux personnes du monde entier, quelles que soient leurs limites socio-économiques et géographiques". Cela laisse entendre que les œuvres ne seront pas commercialisées.
L’enjeu d’associer une valeur monétaire est un simple outil d’échange et un étalon de mesure de la valeur des biens et services. Il s’agit ainsi d’un moyen d'organiser les interactions entre les personnes. Or, il existe d’autres moyens d’organiser ces interactions qui peuvent avoir l’avantage d’être moins élitistes et moins centralisés.
La religion est pleine d'interactions. Les NFT peuvent-ils révolutionner l'organisation de ces interactions ?
Les religions reposent sur la foi des croyants envers leur(s) divinité(s). Cette foi est une question de confiance qui est immatérielle.
Dans différentes religions, les autorités religieuses ont la faculté de bénir des objets, des personnes etc. Par exemple, dans le bouddhisme ou la religion catholique, la bénédiction est un rite par lequel l’autorité religieuse, par sa prière, attire des faveurs divines. Ces objets sacrés sont alors transmis de générations en générations. De la même manière, cette sacralité peut toucher des reliques, c'est-à-dire reste du corps des saints, des personnages sacrés, ou objet leur ayant appartenu, et qui font l'objet d'un culte.
L’organisation caritative, Santa Casa da Misericórdia de Lisboa (SCML) a proposé l’année dernière certaines pièces de sa collection d’art et des répliques numériques d’un reliquaire de Saint François Xavier sous forme de NFT.
Ces trésors sacrés très recherchés font l’objet d'un “marché”. Les NFT pourraient attester de la traçabilité des objets et assurer la nature de sa bénédiction. En attestant qu’il s’agit bien d’une relique de Saint François-Xavier, d’une “hostie bénie”, ou encore de “l’eau” provenant de Lourdes. Ainsi, les NFT ont le potentiel de faire évoluer la spiritualité des croyants en réintroduisant quelque chose de tangible entre Dieu et les croyants. Toutefois, est-ce que cela renforce ou amoindrit la confiance ?
Notons toutefois que les NFT ne sont qu'un outil complémentaire, car beaucoup de traditions religieuses reposent sur l'incarnation. Par exemple, le catholicisme et le bouddhisme zen ont en commun la prééminence de la pratique religieuse incarnée (notamment avec le rite de l’Eucharistie ou la méditation en pleine conscience).
Enfin, réintroduire cette “preuve matérielle” ne pourra pas s'appliquer de la même manière à toutes les religions. Par exemple, dans la tradition chrétienne, les protestants apportent beaucoup moins d’importance aux saints, reliques et autres que les catholiques ou les orthodoxes.
Les NFT peuvent renouveler le sentiment d’appartenance à une communauté. Par exemple, la communauté HENKAKU community repose sur un système où le seul moyen pour les utilisateurs de gagner un token, est de faire quelque chose pour la communauté. Le Fondateur de la communauté, Joi Ito, souligne que “Cela a été un tel succès, qu’il y avait trop de tokens émis par rapport aux possibilités d’utilisations”.
Cette approche se rapproche de la notion d’”utility tokens”, ou “les jetons utilitaires” en français. Le but de ces jetons est en effet de permettre l'accès à un service ou produit. Cet usage des NFT permet de développer une expérience, où le fait de détenir le NFT, offre la possibilité de le transformer. Cette transformation a de facto aussi un impact sur sa valeur, bien qu’elle ne soit pas nécessairement monétaire.
“Parfois, le fait de ne pas être convertible en argent donne encore plus de valeur à la transaction”.
Au-delà de la possibilité de gagner des tokens, ce système permet de créer un sentiment de communauté. Cela permet également de tracer les activités de chacun des utilisateurs pour la communauté. Cette traçabilité peut-elle également s’appliquer dans le contexte des communautés religieuses, où la place des rituels est importante ? A travers ce système, il serait par exemple possible d’attester de l'existence d’un sacrement ou d’un pèlerinage. Cela reviendrait à un système de validation par preuve de travail, c’est-à-dire une partie du consensus de validation utilisé dans le cadre de la création de nouveaux blocs au sein d'une blockchain.
Toutefois, cette application connaît quelques limites, voire dérives. Comment mesurer la générosité, la compassion ou encore la justice ?